« J’avais 8 ans quand j’ai été excisée. J’étais parti avec mes parents rendre visite à ma tante paternelle. Ce jour-là, mes parents m’avaient menti que j’allais aux champs avec mes cousines et les autres filles du village mais ce n’était pas le cas. J’etudias en C1 et cet acte a bouleversé ma vie pour toujours. ». L’histoire de Rama est semblable à celle de plus de 200 millions de femmes et de filles dans le monde ont subi l’une des quatre formes mutilations génitales féminines[1]. On estime également à 4,6 millions le nombre de filles qui seront victimes de la pratique d'ici l'année 2030.
UNFPA[2] et d’autres organisations définissent les mutilations génitales féminines (MGF) comme une pratique qui consiste à altérer ou léser les organes génitaux de la femme pour des raisons non médicales.
En République Centrafricaine, les statistiques du MICS VI (2018-2019) montrent que 21% des femmes et des filles entre 15-49 ans ont subi une quelconque forme des mutilations génitales féminines dont la grande majorité des cas sont détectés à l’intérieur du pays.
Considéré comme un acte coutumier, l’excision est supposée contrôler la virginité des jeunes filles. Il serait aussi un moyen de préparer la jeune fille à bien assumer son rôle de femme une fois mariée. Ce qui fut le cas de Rama qui a été marié par ses parents à l’âge de 14 ans.
Il faut noter que les MGF appelées communément excision ont des conséquences énormes sur la santé physique, psychologique et sociale de la victime. Souvent pratiquée de façon clandestine et dans des mauvaises conditions sanitaires, l’excision fait partie d’une des causes de la mortalité des femmes et des filles survenant après une hémorragie intense. A cela s’ajoute entre autre des complications lors de l’accouchement, la stérilité, et provoque un sentiment d’anxiété, de dépression, de trouble de dissociation traumatique, la perte de l’appétit sexuelle chez les victimes et parfois la frigidité.[3]
« Le jour de notre mariage, c’est mon mari qui m’a desinfubulée. L’acte était tellement violent que je n’aimais plus faire les rapports sexuels avec lui. Malgré les douleurs et le dégout de l’acte sexuel en lui-même, j’ai donné naissance à quatre enfants (une fille et trois garçons). L’accouchement a été difficile et à chaque fois, on pratiquait l’épisiotomie afin de faire sortir l’enfant. J’ai donc décidé de ne plus tomber enceinte et ne plus faire les rapports sexuels avec mon mari. Finalement il est parti, me laissant seule avec mes enfants. (Rama) ».
Malheureusement, dans beaucoup de communautés ou l’excision est la norme, les femmes n’ayant pas été excisées subissent une sorte de discrimination et des menaces souvent de la part de leurs conjoints. C’est le cas d’Honorine : « A l’âge de 9 ans, mes parents m’ont envoyé en vacance chez ma tante paternelle. Elle a utilisé la ruse fréquemment utilisé en RCA, celle de mentir aux jeunes filles qu’elles partent en brousse récupérer le bois. Une fois dans la forêt, J’ai vu deux dames prendre de force une jeune fille et on lui a coupé le clitoris avec un objet en fer tranchant. Le sang giclait de partout, ça faisait peur. En voyant la première fille, j’ai dit à ma tante que je ne voulais pas être excisée et je me suis enfuie. Pour peur de ma vie, je suis vite rentré sur Bangui car cette pratique était interdite et les exciseuses pensais que j’allais dévoiler le secret aux autorités. Coup de chance, mes parents ont respecté ma décision de ne pas me faire exciser. Les complications sont survenues une fois mariée. Mon mari me traitait de tous les noms, m’appelais « kpasakara » qui signifie femme non excisé. Pour lui, je n’avais pas respecté les coutumes de notre ethnie. Je vis toujours avec lui mais nous avons fait séparation du corps. »
En dépit de l’abolition de l’excision en RCA par l’ordonnance n°66/16 du 22 février 1966 et toutes les lois mises en place pour lutter contre les violences basées sur le genre ainsi que les pratiques néfastes, la mutilation génitale féminine reste présente dans le pays et pratiquée de façon clandestine. La raison de la persistance de la pratique, en plus de la coutume, est d’ordre économique pour les exciseuses. Asta exerce cette pratique depuis une quarantaine d’années : « J’ai appris à le faire auprès de ma tante paternelle. Elle m’a légué son couteau avant sa mort. J’ai essayé d’abandonner ce métier mais c’est difficile pour des raisons financières. Le paiement dépend des moyens de la famille. Elle peut varier entre 2500 à 25000 XAF. Donc, si j’abandonne mon travail, comment je vais vivre ? »
S’agissant de l’application de la loi N°06-032 du 15 Décembre 2006 portant protection de la femme contre les violences en République Centrafricaine, certaines victimes qui portent plaintes reçoivent compensation en fonction de ce que prévoit la loi. Cependant, certaines plaintes sont retirées par les parents après un règlement à l’amiable ou sont reportées à cause de l’instabilité du pays.
Pour sa part, le Fond des Nations pour la Population qui s’occupe des questions de santé de la reproduction et des Violences Basées sur le Genre (VBG), (UNFPA), avec l’objectif d’atteindre zéro cas de mutilation génitales féminines d’ici 2030, travaille avec le Gouvernement, à travers le Ministère de la promotion de la femme, famille et protection de l’enfant ainsi que les associations de la défenses de droits de l’homme, le comité interafricain sur les pratiques traditionnelles ayant effet sur la santé des femmes et des enfants et d’autres associations pour mettre fin à cette pratique. C’est dans cette optique, au mois d’octobre à Décembre 2020, UNFPA, dans le cadre de la mise en œuvre de la stratégie nationale de la lutte contre les VBG, mariages d’enfants et les pratiques néfastes, a financé à hauteur de trente mille dollar l’Association Solidarité et Développement Bê Afrika (ASDABA) pour mener une campagne de sensibilisation et de prévention des mutilations génitales dans la préfecture de la Kemo. L’objectif était de mobiliser la communauté pour l’amener à lutter contre ce fléau en impliquant un peu plus les hommes et les garçons dans cette guerre. C’est dans ce sens que plus de deux milles personnes de la préfecture de la Kemo ont été sensibilisées sur les conséquences à court-moyen et long terme de cette pratique et informées sur les lois existantes qui punissent les auteurs de ces crimes.
En comparant les chiffres du MICS 2010 à celui de MICS 2018, le pourcentage des femmes et filles d’âge entre 15 à 49 ans ayant subi une quelconque forme de mutilation génitale féminine est passé de 24% en 2010 à 21% en 2018. Cela montre une légère diminution de 3%. Ceci s’explique par une campagne de communication menée à l’endroit des jeunes pour lutter contre cette pratique et de la compréhension de la communauté sur les conséquences de cette pratique sur la fille et sur la famille entière.
Néanmoins des contraintes subsistent encore pour espérer atteindre zéro cas de mutilations génitales féminines en RCA. Mme Bria Christine et Mme Kaniko Louise, membres du CIAF « Nous faisons face à des défis lors des sensibilisations porte à porte que nous effectuons au niveau du 4e arrondissement à Bangui. Que ça soient les parents ou les exciseuses, c’est difficile de leurs faire comprendre que l’excision est une violation de droit de l’homme avec des conséquences graves sur la santé des femmes et filles et qu’il faut laisser cette pratique. L’autre défi est qu’il faut étendre ces sensibilisations à l’intérieur du pays, car c’est là où se passe l’acte. Aussi, il faut voir comment former les exciseuses aux métiers de l’entrepreneuriat. Comme ça, elles vont abandonner cette pratique. Mais en attendant, nous allons continuer à faire les sensibilisations. »
Au final, la pratique des mutilations génitales féminines en RCA ressemble à une épidémie du silence. Elle concerne beaucoup des femmes et des filles qui la subissent dans leur chair et dans leur mental et la procréation devient une véritable corvée.
Pour des avancées sensibles, il va falloir poursuivre la sensibilisation en étant plus précis dans le ciblage de l’audience, l’objet de sensibilisation et mettre fin à l’impunité en appliquant les textes tout en renforçant l’arsenal juridique existant.